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18 décembre 2012 par Michel Bernard
Nous publions, avec son autorisation, le témoignage, à la fois touchant et serein, de Justine Morin, la fille de notre collègue, Jean Morin, décédé en juin dernier. Ce texte a été publié dans La Presse du 22 octobre.
Mon père est mort le 9 juin dernier. En silence, sans avertissement, sans adieux, comme un vent frais qui s’échappe par la fenêtre laissée ouverte, ses paupières se sont fermées sur la vie et sa lumière.
Au grand étonnement de nos proches et malgré le fait qu’il incarnait le magicien de notre univers, ma mère, mes frères et sœurs et moi-même acceptons avec une certaine sérénité ce décès inattendu. Il est vrai que la mort est un torrent de peine, un flot de constatations qui griffent le cœur. Pour nous, c’est sa chaise demeurée inoccupée à la table, son parfum planant encore dans la penderie de l’entrée, son écriture abandonnée sur un bout de papier futile et le silence subsistant dans la maison familiale après que le timbre de sa voix chantante se soit tu.
Il y a la douleur de l’absence.
Il y a l’irréalité du départ sans retour.
Toutefois, deux raisons justifient, il me semble, la paisible résignation émanant des membres de ma famille. D’abord, mon père a vécu sa vie pleinement. Dans Vivre jusqu’au bout, la fascinante série radiophonique consacrée à la mort et présentée à l’automne 2009 sur les ondes de Radio-Canada, une affirmation revient à plusieurs reprises : les individus s’étant réalisés, d’une manière ou d’une autre, et ayant joui de leur passage ici-bas parviennent, de façon moins dramatique, à accepter la mort. Cela permet également à leur entourage d’apprivoiser plus harmonieusement le vide, l’abandon. Je suis convaincue que mon père savait qu’il avait réussi sa vie. Parce qu’il a tissé son existence de rencontres déterminantes, d’expériences enrichissantes et de nobles réalisations, il a su s’auréoler d’un bonheur véritable et émouvant. Cet aspect à lui seul représente une victoire élémentaire, mais inestimable sur la mort.
Ensuite, si le décès de mon père ne terrasse pas tout autour de lui, c’est qu’il y a la famille. En effet, le plus bel héritage qu’il nous a légué, en étroite collaboration avec ma mère, c’est l’importance d’être ensemble, de s’aimer, d’entretenir des liens puissants et étroits les uns avec les autres. À la maison, mes parents ont toujours veillé à transmettre à leurs enfants des valeurs d’unité, de solidarité et d’entraide. À une époque où, malheureusement, bien des clans se négligent, se querellent et se décomposent lentement, le mien a survécu à plus d’un naufrage à force de franches accolades et de sentiments purs. Aujourd’hui, bien que l’absence de mon père se fasse parfois cruellement ressentir, la famille constitue un bouclier irréductible nous protégeant des éclaboussures acides de la mort. Ainsi, au cœur de notre infortune commune, rien ne me paraît plus apaisant.
Mon père est mort le 9 juin dernier, mais à voir l’amour rassembler ma famille et tourbillonner inexorablement autour de nous à la manière des feuilles de l’automne, je me dis qu’il est, plus que jamais, vivant.